
Evangile selon Saint Luc 6,39-45:
En ce temps-là,
Jésus disait à ses disciples en parabole :
« Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ?
Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou ?
Le disciple n’est pas au-dessus du maître ;
mais une fois bien formé,
chacun sera comme son maître.
Qu’as-tu à regarder la paille dans l’œil de ton frère,
alors que la poutre qui est dans ton œil à toi,
tu ne la remarques pas ?
Comment peux-tu dire à ton frère :
‘Frère, laisse-moi enlever la paille qui est dans ton œil’,
alors que toi-même ne vois pas la poutre qui est dans le tien ?
Hypocrite ! Enlève d’abord la poutre de ton œil ;
alors tu verras clair
pour enlever la paille qui est dans l’œil de ton frère.
Un bon arbre ne donne pas de fruit pourri ;
jamais non plus un arbre qui pourrit ne donne de bon fruit.
Chaque arbre, en effet, se reconnaît à son fruit :
on ne cueille pas des figues sur des épines ;
on ne vendange pas non plus du raisin sur des ronces.
L’homme bon tire le bien
du trésor de son cœur qui est bon ;
et l’homme mauvais tire le mal
de son cœur qui est mauvais :
car ce que dit la bouche,
c’est ce qui déborde du cœur. »
Avons-nous des gènes pharisiens ?
Luis CASASUS Président des Missionnaires Identès
Rome, 2 mars 2025 | VIIIe dimanche du temps ordinaire.
Ecclésiaste 27, 4-7 ; 1 Corinthiens 15, 54-58 ; Luc 6, 39-45
Il y avait un prêtre qui, à la messe quotidienne, observait un homme qui passait toujours devant l’église et s’arrêtait à la porte, mais n’entrait jamais. Après plusieurs jours, le prêtre s’approcha et lui demanda pourquoi il n’entrait pas. L’homme répondit que l’Église était pleine d’hypocrites. Le prêtre répondit : Ce n’est pas vrai, il y a toujours de la place pour un de plus !
Cette anecdote humoristique sert d’introduction à un sujet que le Christ traite avec beaucoup de sérieux, s’adressant non pas aux pharisiens, mais à tous les disciples d’hier et d’aujourd’hui.
Il s’agit de l’hypocrisie. Un regard superficiel peut nous faire penser qu’en étant hypocrites, en jugeant les autres ou en essayant de leur enseigner ce que nous ne vivons pas, nous leur faisons du mal.
Mais le Christ va plus loin, en disant que LES DEUX aveugles, celui qui est guidé et celui qui guide, tomberont dans le trou.
C’est à juste titre que Jésus profite de cette occasion pour nous dire qu’il est le véritable Maître et que nous sommes tous des disciples, c’est-à-dire que nous sommes toujours en train d’apprendre. C’est lui qui doit nous libérer de l’hypocrisie, à laquelle personne n’est totalement immunisé et qui est essentiellement un état de division ; ce n’est pas un hasard si elle représente exactement le contraire de l’objectif d’une vie spirituelle : un état d’union intérieure et avec les Personnes Divines.
La question est si sérieuse que le Christ utilise également l’humour, afin que nous puissions mieux digérer ses enseignements : Il n’est pas moins comique d’imaginer un homme avec une poutre dans l’œil, essayant d’enlever une paille de l’œil de son ami.
Nous devons comprendre ce que signifie cette indication du Christ : Ne jugez pas. Bien sûr, juger est quelque chose que nous faisons et devons faire chaque jour, sur nos actions et celles des autres. Jésus veut dire que nous ne pouvons pas porter de jugement pour aboutir à une condamnation. Donc, en laissant de côté les subtilités linguistiques, ce qu’il veut nous dire, c’est que nous ne devons pas condamner. Il nous donne lui-même une leçon avec son attitude envers la femme adultère (Jn 8, 1-11), sur laquelle il a porté un jugement et un verdict, en disant qu’elle avait péché… et qu’il ne voulait pas la condamner.
Juger signifie se forger une opinion sur quelque chose ou avoir une opinion sur quelque chose. Dans le sens juridique, cela signifie rendre un jugement sur quelque chose ou quelqu’un. D’autre part, condamner signifie imposer une sorte de punition divine éternelle à quelqu’un ou à quelque chose. Judiciairement, cela signifie déclarer quelqu’un coupable d’un délit ou d’un crime.
Même si nous ne condamnons pas, nous jugeons souvent à l’excès, avec trop de confiance en nos jugements et opinions, que nous projetons dogmatiquement sur les autres, cherchant à nous imposer ou simplement à dévaloriser leurs idées. Par exemple, nous parlons avec peu de compassion des autres, nous manifestons comme indiscutable notre opinion sur les vaccins, le changement climatique, la politique, la liturgie ou la psychologie des Néandertaliens.
D’autres fois, dans les questions de la vie spirituelle, nous confondons nos opinions et nos conclusions avec les pensées divines. Nous n’avons pas conscience que nous sommes des disciples, certainement infidèles à de nombreux moments. Mais cela fait déjà partie de l’attachement à nos jugements.
Bien sûr, toi et moi, nous condamnons de nombreuses manières, en prenant des décisions et en cherchant inconsciemment à nous sentir supérieurs aux autres, même à ceux que nous disons aimer. Combien il est plus facile de juger ceux qui me font du mal ! C’est ce dont parlait le texte évangélique du dernier dimanche.
Aujourd’hui, le Christ nous invite à approfondir encore plus : agir avec amour exige au préalable de penser avec amour. Cela explique pourquoi il termine aujourd’hui son enseignement en disant : ce qui déborde du cœur parle à la bouche. Penser avec amour signifie plus qu’une réflexion, cela implique aussi l’étreinte intime de la personne qui a agi de manière incorrecte, voire cruelle et obstinée.
N’oublions pas que notre Père Fondateur, en nous remettant l’Examen de la perfection, comme guide de nos efforts ascétiques, nous indique avant tout de veiller à ce que notre prière soit vécue de manière continue, en commençant par une attention aux choses du royaume des cieux, à ce qui nous unit à Dieu. Si nous le faisons ainsi, et seulement alors, nous serons capables de vivre une charité de plus en plus complète.
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Bien sûr, nous devons juger à de nombreuses occasions. Mais surtout nous-mêmes, pour connaître nos capacités et nos limites et ainsi être mieux préparés à corriger et à enseigner… si cela nous incombe.
Rappelons-nous ce qui est arrivé à une femme qui disait à son amie : « Regarde comme la voisine d’en face est négligée et mal coiffée, tu devrais voir comme elle est sale avec les enfants et comme sa maison est mal entretenue ! C’est une honte pour tout le quartier. Regarde les vêtements qu’elle a étendus et regarde les taches noires sur ces serviettes et ces draps…
L’amie s’est approchée de la fenêtre, a regardé dehors et a dit : Je pense que ces vêtements sont parfaitement propres, ce sont tes vitres qui sont tachées.
Se connaître soi-même, voir la poutre qui est dans notre œil, c’est important, mais ce n’est pas possible avec nos propres forces, car, comme on dit souvent, l’œil ne peut pas se voir. Nous pouvons le faire à travers un miroir, mais nous ne verrons qu’un reflet de ce qu’est vraiment notre œil.
Le Coran affirme également que ce n’est pas que les yeux sont aveugles, mais que ce sont les cœurs enfermés dans la poitrine qui sont aveugles. D’autres fois, nous disons qu’un couteau peut être bien aiguisé, mais qu’il ne peut pas se couper lui-même. C’est une intuition universelle.
La seule possibilité de me connaître est de contempler ce que l’Esprit a déposé soigneusement dans mon cœur, cette impulsion essentielle qui me pousse à sortir de moi-même et à m’unir à mon prochain. Tout le reste est superficiel, de la même manière qu’une orange n’est pas tout ce que nous voyons à l’extérieur, la peau.
Le conseil de Jésus de retirer la poutre de mon œil n’est pas une simple accusation, ni une humiliation. Ce n’est pas la fin de l’histoire. Il termine en disant qu’une fois cette poutre retirée, je pourrai retirer la paille dans l’œil de mon prochain, qui est peut-être petite, mais qui lui rend la vie difficile.
Gardons à l’esprit ce que saint Paul nous dit dans la deuxième lecture, qui pourrait sembler déconnecté du texte évangélique d’aujourd’hui. Il nous encourage à ne pas nous laisser éblouir par le bien et le mal de notre corps terrestre, par nos défauts et nos vertus. Notre véritable identité se manifestera pleinement après ce pèlerinage à travers le monde, sachant que nos fatigues ne resteront pas sans récompense. Plus que de faire référence aux nombreux travaux que nous devons tous accomplir et qui nous font constamment nous concentrer sur le monde et ses préoccupations, les fatigues qu’il mentionne sont celles auxquelles nous sommes confrontés parce que nous sommes obéissants à la volonté divine.
Saint Bernard nous dit que, si tu as des yeux pour les défauts de ton prochain et non pour les tiens, aucun sentiment de miséricorde ne naîtra en toi, mais plutôt de l’indignation. Tu seras plus enclin à juger qu’à aider, à écraser avec un esprit de colère qu’à instruire avec un esprit de douceur.
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Une dernière observation. Être hypocrite n’est pas seulement une attitude visant à préserver sa réputation auprès des autres. C’est aussi un piège tendu par et pour chacun de nous, pour nous sentir à l’aise en vivant à la fois selon Dieu et selon le monde. Mission impossible, bien sûr. De cette façon, non seulement on crée la confusion chez ceux qui voient le comportement hypocrite, mais aussi un état d’amertume intime et de véritable répulsion envers Dieu : Ainsi, puisque tu es tiède, et non froid ni chaud, je te vomirai de ma bouche (Ap 3, 16).
Est tiède celui qui, effrayé par la difficulté qu’il éprouve sur le chemin de la vertu et cédant aux tentations, après la première ferveur de l’esprit, décide délibérément de passer à une vie confortable et libre, sans ennuis, content d’une certaine apparence extérieure, avec horreur de tout progrès dans les vertus. Il a parfois une apparente tranquillité d’âme parce qu’il ne ressent pas beaucoup de tentations et d’agitations.
La tiédeur, de par sa nature, est souvent associée à l’acédie, un vice capital que les anciens moines identifiaient au « démon de midi » qui attaque lorsque des années de vie spirituelle ont déjà été passées. Cela ressemble à ce qu’on appelle aujourd’hui la « crise de la quarantaine ».
Le tiède vit la vie spirituelle ; mais sa vie a quelque chose de superficiel, de fictif, de manque d’incarnation réelle. Il y a un renoncement pratique à la sainteté totale, bien qu’il en parle peut-être encore par la parole.
Il s’y ajoute généralement un certain sentiment de complaisance personnelle, comme une persuasion d’être raisonnable, qui le paralyse dans sa progression spirituelle pendant des années entières. Il y a des moments d’élan intérieur, mais ensuite il se fatigue et s’arrête à nouveau. Le résultat est qu’il ne progresse pas dans la vie spirituelle. Ce même effort relatif lui sert de justification (j’essaye…) et le persuade davantage de sa sagesse.
Cet état est également favorisé par le fait que la personne médiocre a tendance à maintenir des attitudes de gentillesse, de piété et de délicatesse dans ses relations. Cependant, la personne médiocre entretient et encourage des vices spécifiques, tels que l’orgueil, la gourmandise, la susceptibilité, la curiosité, l’hypersensibilité. Elle travaille dans ce domaine, mais ses efforts sont minimes et se limitent à ne pas pécher, en freinant ces tendances lorsqu’elles atteignent le niveau de la transgression délibérée. D’autres fois, elle les encourage positivement avec des justifications apparemment sensées.
Qu’est-ce qui conduit à cet état de médiocrité ? Un refus de l’abnégation et l’affaiblissement de la prière authentique.
Le problème de la tiédeur ou de la médiocrité spirituelle est peut-être que personne ne se considère comme médiocre ou tiède, car, même si l’on déclare aux autres que l’on vit dans cet état, on le fait précisément de manière hypocrite.
Le moine Envagro Póntico (345-399), né dans le Pont, une région de l’actuelle Turquie, décrit le démon de l’acédie avec une finesse surprenante, avec des effets qui rappellent sans aucun doute les personnes qui ont abandonné ou vont abandonner leur vocation.
Il affirme qu’il est le plus lourd des démons. Il attaque le moine au milieu de la journée – d’où son nom de démon du midi – et remplit le solitaire d’inquiétude et d’ennui. Il lui inspire de l’aversion pour l’endroit où il habite, pour son propre état de vie, pour le travail manuel. Cela lui fait penser que les frères n’ont pas de charité, que personne n’est capable de le consoler et, par conséquent, il soupire après d’autres endroits où la vie est certainement plus supportable et où il pourrait exercer un métier moins pénible. Cela lui rappelle ses parents, son existence antérieure. Cela lui rappelle combien la vie est longue, combien les fatigues de l’ascétisme sont pénibles. Enfin, il fait tout son possible pour que le moine « quitte sa cellule et fuie l’état ».
Nous concluons en proposant de méditer sur cette capsule de notre père fondateur :
L’hypocrisie est le cheval de Troie des vices.
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Dans les Sacrés Cœurs de Jésus, de Marie et de Joseph,
Luis CASASUS
Président