
Evangile selon Saint Luc 22,14-23,56:
L’heure étant venue, il se mit à table, et les apôtres avec lui. Il leur dit: «J’ai désiré vivement manger cette Pâque avec vous, avant de souffrir; car, je vous le dis, je ne la mangerai plus, jusqu’à ce qu’elle soit accomplie dans le royaume de Dieu». Et, ayant pris une coupe et rendu grâces, il dit: «Prenez cette coupe, et distribuez-la entre vous; car, je vous le dis, je ne boirai plus désormais du fruit de la vigne, jusqu’à ce que le royaume de Dieu soit venu».
Ensuite il prit du pain; et, après avoir rendu grâces, il le rompit, et le leur donna, en disant: «Ceci est mon corps, qui est donné pour vous; faites ceci en mémoire de moi». Il prit de même la coupe, après le souper, et la leur donna, en disant: «Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, qui est répandu pour vous. Cependant voici, la main de celui qui me livre est avec moi à cette table. Le Fils de l’homme s’en va selon ce qui est déterminé. Mais malheur à l’homme par qui il est livré!».
Et ils commencèrent à se demander les uns aux autres qui était celui d’entre eux qui ferait cela. Il s’éleva aussi parmi les apôtres une contestation: lequel d’entre eux devait être estimé le plus grand? Jésus leur dit: «Les rois des nations les maîtrisent, et ceux qui les dominent sont appelés bienfaiteurs. Qu’il n’en soit pas de même pour vous. Mais que le plus grand parmi vous soit comme le plus petit, et celui qui gouverne comme celui qui sert. Car quel est le plus grand, celui qui est à table, ou celui qui sert? N’est-ce pas celui qui est à table? Et moi, cependant, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. Vous, vous êtes ceux qui avez persévéré avec moi dans mes épreuves; c’est pourquoi je dispose du royaume en votre faveur, comme mon Père en a disposé en ma faveur, afin que vous mangiez et buviez à ma table dans mon royaume, et que vous soyez assis sur des trônes, pour juger les douze tribus d’Israël».
Le Seigneur dit: «Simon, Simon, Satan vous a réclamés, pour vous cribler comme le froment. Mais j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point; et toi, quand tu seras converti, affermis tes frères». «Seigneur», lui dit Pierre, «je suis prêt à aller avec toi et en prison et à la mort». Et Jésus dit: «Pierre, je te le dis, le coq ne chantera pas aujourd’hui que tu n’aies nié trois fois de me connaître».
Il leur dit encore: «Quand je vous ai envoyés sans bourse, sans sac, et sans souliers, avez-vous manqué de quelque chose?». Ils répondirent: «De rien». Et il leur dit: «Maintenant, au contraire, que celui qui a une bourse la prenne et que celui qui a un sac le prenne également, que celui qui n’a point d’épée vende son vêtement et achète une épée. Car, je vous le dis, il faut que cette parole qui est écrite s’accomplisse en moi: ‘Il a été mis au nombre des malfaiteurs’. Et ce qui me concerne est sur le point d’arriver». Ils dirent: «Seigneur, voici deux épées». Et il leur dit: «Cela suffit».
Après être sorti, il alla, selon sa coutume, à la montagne des Oliviers. Ses disciples le suivirent. Lorsqu’il fut arrivé dans ce lieu, il leur dit: «Priez, afin que vous ne tombiez pas en tentation». Puis il s’éloigna d’eux à la distance d’environ un jet de pierre, et, s’étant mis à genoux, il pria, disant: «Père, si tu voulais éloigner de moi cette coupe! Toutefois, que ma volonté ne se fasse pas, mais la tienne». Alors un ange lui apparut du ciel, pour le fortifier. Étant en agonie, il priait plus instamment, et sa sueur devint comme des grumeaux de sang, qui tombaient à terre. Après avoir prié, il se leva, et vint vers les disciples, qu’il trouva endormis de tristesse, et il leur dit: «Pourquoi dormez-vous? Levez-vous et priez, afin que vous ne tombiez pas en tentation».
Comme il parlait encore, voici, une foule arriva; et celui qui s’appelait Judas, l’un des douze, marchait devant elle. Il s’approcha de Jésus, pour le baiser. Et Jésus lui dit: «Judas, c’est par un baiser que tu livres le Fils de l’homme!». Ceux qui étaient avec Jésus, voyant ce qui allait arriver, dirent: «Seigneur, frapperons-nous de l’épée?». Et l’un d’eux frappa le serviteur du souverain sacrificateur, et lui emporta l’oreille droite. Mais Jésus, prenant la parole, dit: «Laissez, arrêtez!». Et, ayant touché l’oreille de cet homme, il le guérit. Jésus dit ensuite aux principaux sacrificateurs, aux chefs des gardes du temple, et aux anciens, qui étaient venus contre lui: «Vous êtes venus, comme après un brigand, avec des épées et des bâtons. J’étais tous les jours avec vous dans le temple, et vous n’avez pas mis la main sur moi. Mais c’est ici votre heure, et la puissance des ténèbres».
Après avoir saisi Jésus, ils l’emmenèrent, et le conduisirent dans la maison du souverain sacrificateur. Pierre suivait de loin. Ils allumèrent du feu au milieu de la cour, et ils s’assirent. Pierre s’assit parmi eux. Une servante, qui le vit assis devant le feu, fixa sur lui les regards, et dit: «Cet homme était aussi avec lui». Mais il le nia disant: «Femme, je ne le connais pas». Peu après, un autre, l’ayant vu, dit: «Tu es aussi de ces gens-là». Et Pierre dit: «Homme, je n’en suis pas». Environ une heure plus tard, un autre insistait, disant: «Certainement cet homme était aussi avec lui, car il est Galiléen». Pierre répondit: «Homme, je ne sais ce que tu dis». Au même instant, comme il parlait encore, le coq chanta. Le Seigneur, s’étant retourné, regarda Pierre. Et Pierre se souvint de la parole que le Seigneur lui avait dite: «Avant que le coq chante aujourd’hui, tu me renieras trois fois». Et étant sorti, il pleura amèrement.
Les hommes qui tenaient Jésus se moquaient de lui, et le frappaient. Ils lui voilèrent le visage, et ils l’interrogeaient, en disant: «Devine qui t’a frappé». Et ils proféraient contre lui beaucoup d’autres injures. Quand le jour fut venu, le collège des anciens du peuple, les principaux sacrificateurs et les scribes, s’assemblèrent, et firent amener Jésus dans leur sanhédrin. Ils dirent: «Si tu es le Christ, dis-le nous». Jésus leur répondit: «Si je vous le dis, vous ne le croirez pas; et, si je vous interroge, vous ne répondrez pas. Désormais le Fils de l’homme sera assis à la droite de la puissance de Dieu». Tous dirent: «Tu es donc le Fils de Dieu?». Et il leur répondit: «Vous le dites, je le suis». Alors ils dirent: «Qu’avons-nous encore besoin de témoignage? Nous l’avons entendu nous-mêmes de sa bouche».
Ils se levèrent tous, et ils conduisirent Jésus devant Pilate. Ils se mirent à l’accuser, disant: «Nous avons trouvé cet homme excitant notre nation à la révolte, empêchant de payer le tribut à César, et se disant lui-même Christ, roi». Pilate l’interrogea, en ces termes: «Es-tu le roi des Juifs?». Jésus lui répondit: «Tu le dis». Pilate dit aux principaux sacrificateurs et à la foule: «Je ne trouve rien de coupable en cet homme». Mais ils insistèrent, et dirent: «Il soulève le peuple, en enseignant par toute la Judée, depuis la Galilée, où il a commencé, jusqu’ici». Quand Pilate entendit parler de la Galilée, il demanda si cet homme était Galiléen; et, ayant appris qu’il était de la juridiction d’Hérode, il le renvoya à Hérode, qui se trouvait aussi à Jérusalem en ces jours-là.
Lorsque Hérode vit Jésus, il en eut une grande joie; car depuis longtemps, il désirait le voir, à cause de ce qu’il avait entendu dire de lui, et il espérait qu’il le verrait faire quelque miracle. Il lui adressa beaucoup de questions; mais Jésus ne lui répondit rien. Les principaux sacrificateurs et les scribes étaient là, et l’accusaient avec violence. Hérode, avec ses gardes, le traita avec mépris; et, après s’être moqué de lui et l’avoir revêtu d’un habit éclatant, il le renvoya à Pilate. Ce jour même, Pilate et Hérode devinrent amis, d’ennemis qu’ils étaient auparavant.
Pilate, ayant assemblé les principaux sacrificateurs, les magistrats, et le peuple, leur dit: «Vous m’avez amené cet homme comme excitant le peuple à la révolte. Et voici, je l’ai interrogé devant vous, et je ne l’ai trouvé coupable d’aucune des choses dont vous l’accusez; Hérode non plus, car il nous l’a renvoyé, et voici, cet homme n’a rien fait qui soit digne de mort. Je le relâcherai donc, après l’avoir fait battre de verges». A chaque fête, il était obligé de leur relâcher un prisonnier. Ils s’écrièrent tous ensemble: «Fais mourir celui-ci, et relâche-nous Barabbas». Cet homme avait été mis en prison pour une sédition qui avait eu lieu dans la ville, et pour un meurtre. Pilate leur parla de nouveau, dans l’intention de relâcher Jésus. Et ils crièrent: «Crucifie, crucifie-le!». Pilate leur dit pour la troisième fois: «Quel mal a-t-il fait? Je n’ai rien trouvé en lui qui mérite la mort. Je le relâcherai donc, après l’avoir fait battre de verges». Mais ils insistèrent à grands cris, demandant qu’il fût crucifié. Et leurs cris l’emportèrent: Pilate prononça que ce qu’ils demandaient serait fait. Il relâcha celui qui avait été mis en prison pour sédition et pour meurtre, et qu’ils réclamaient; et il livra Jésus à leur volonté.
Comme ils l’emmenaient, ils prirent un certain Simon de Cyrène, qui revenait des champs, et ils le chargèrent de la croix, pour qu’il la porte derrière Jésus. Il était suivi d’une grande multitude des gens du peuple, et de femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur lui. Jésus se tourna vers elles, et dit: «Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi; mais pleurez sur vous et sur vos enfants. Car voici, des jours viendront où l’on dira: ‘Heureuses les stériles, heureuses les entrailles qui n’ont point enfanté, et les mamelles qui n’ont point allaité!’. Alors ils se mettront à dire aux montagnes: ‘Tombez sur nous! Et aux collines: Couvrez-nous!’. Car, si l’on fait ces choses au bois vert, qu’arrivera-t-il au bois sec?».
On conduisait en même temps deux malfaiteurs, qui devaient être mis à mort avec Jésus. Lorsqu’ils furent arrivés au lieu appelé Crâne, ils le crucifièrent là, ainsi que les deux malfaiteurs, l’un à droite, l’autre à gauche. Jésus dit: «Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font». Ils se partagèrent ses vêtements, en tirant au sort. Le peuple se tenait là, et regardait. Les magistrats se moquaient de Jésus, disant: «Il a sauvé les autres; qu’il se sauve lui-même, s’il est le Christ, l’élu de Dieu!». Les soldats aussi se moquaient de lui; s’approchant et lui présentant du vinaigre, ils disaient: «Si tu es le roi des Juifs, sauve-toi toi-même!». Il y avait au-dessus de lui cette inscription: «Celui-ci est le roi des Juifs».
L’un des malfaiteurs crucifiés l’injuriait, disant: «N’es-tu pas le Christ? Sauve-toi toi-même, et sauve-nous!». Mais l’autre le reprenait, et disait: «Ne crains-tu pas Dieu, toi qui subis la même condamnation? Pour nous, c’est justice, car nous recevons ce qu’ont mérité nos crimes; mais celui-ci n’a rien fait de mal». Et il dit à Jésus: «Souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton règne». Jésus lui répondit: «Je te le dis en vérité, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis».
Il était déjà environ la sixième heure, et il y eut des ténèbres sur toute la terre, jusqu’à la neuvième heure. Le soleil s’obscurcit, et le voile du temple se déchira par le milieu. Jésus s’écria d’une voix forte: «Père, je remets mon esprit entre tes mains». Et, en disant ces paroles, il expira.
Le centenier, voyant ce qui était arrivé, glorifia Dieu, et dit: «Certainement, cet homme était juste». Et tous ceux qui assistaient en foule à ce spectacle, après avoir vu ce qui était arrivé, s’en retournèrent, se frappant la poitrine. Tous ceux de la connaissance de Jésus, et les femmes qui l’avaient accompagné depuis la Galilée, se tenaient dans l’éloignement et regardaient ce qui se passait.
Il y avait un conseiller, nommé Joseph, homme bon et juste, qui n’avait point participé à la décision et aux actes des autres; il était d’Arimathée, ville des Juifs, et il attendait le royaume de Dieu. Cet homme se rendit vers Pilate, et demanda le corps de Jésus. Il le descendit de la croix, l’enveloppa d’un linceul, et le déposa dans un sépulcre taillé dans le roc, où personne n’avait encore été mis. C’était le jour de la préparation, et le sabbat allait commencer. Les femmes qui étaient venues de la Galilée avec Jésus accompagnèrent Joseph, virent le sépulcre et la manière dont le corps de Jésus y fut déposé, et, s’en étant retournées, elles préparèrent des aromates et des parfums. Puis elles se reposèrent le jour du sabbat, selon la loi.
Combien de fois le Christ a-t-il donné sa vie ?
Luis CASASUS Président des Missionnaires Identès
Rome, 13 avril 2025 | Dimanche des Rameaux.
Is 50, 4-7 ; Ph 2, 6-11 ; Lc 22, 14-23,56
Aujourd’hui, à l’aube de la Passion du Christ, nous nous souvenons avec ferveur de ces moments de sa vie, dans l’espoir de pouvoir imiter des saints tels que Paul de la Croix (1694-1775), fondateur de la Congrégation de la Passion (les Passionistes), qui comprit que méditer sur la souffrance du Christ ne conduit pas seulement à la conversion personnelle, mais renforce également notre amour et notre dévouement envers Dieu et notre prochain. Notre père fondateur, Fernando Rielo, nous a dit que notre surnom, en plus d’être Identès, est missionnaires identès du Christ crucifié.
Comme le rappelait le pape François dans sa première encyclique, Lumen Fidei (2013) :
La plus grande preuve de la fiabilité de l’amour du Christ se trouve dans sa mort pour les hommes. Si donner sa vie pour ses amis est la plus grande démonstration d’amour, Jésus a offert la sienne pour tous, même pour ses ennemis, afin de transformer les cœurs (…). Dans cette amour, qui ne s’est pas soustrait à la mort pour manifester combien il m’aime, il est possible de croire ; sa totalité vainc toute méfiance et nous permet de nous confier pleinement à Jésus.
Donner sa vie pour son prochain atteint sa plénitude avec Jésus, mais notons que l’intuition de cette générosité suprême existe dans d’autres traditions spirituelles, comme le manifeste, par exemple, cette légende bouddhiste simple et surprenante:
Un prince nommé Sattva, alors qu’il se promenait dans la forêt avec ses frères, vit une tigresse avec ses petits. La tigresse était extrêmement faible et affamée, au point qu’elle pouvait à peine bouger. Ses petits étaient également épuisés, incapables de se nourrir.
Ému par leur souffrance et ressentant une immense compassion, il décida de se sacrifier pour les sauver. Il s’éloigna discrètement de ses frères et se jeta devant la tigresse, s’offrant en nourriture.
Grâce à cet acte de générosité extrême, le prince incarna la perfection du pardon et du sacrifice désintéressé. Non seulement il soulagea la souffrance immédiate de la tigresse et de ses petits, mais ce faisant, il inspira d’autres à pratiquer la compassion et la générosité.
Au plus profond de chaque être humain se trouve le désir de donner sa vie. En surface, l’égoïsme domine souvent, mais lorsqu’il prévaut, il conduit inévitablement à la tristesse et au désespoir. L’égoïsme est la répression la plus profonde et la plus douloureuse à laquelle nous pouvons nous soumettre. Cela explique pourquoi notre Fondateur disait que la charité est la vertu la plus curative, ce qui peut sembler à certains de simples mots romantiques, mais qui reflètent une vérité profonde sur notre nature.
Au-delà des images de sentiments chaleureux qui caractérisent souvent notre compréhension de l’amour, l’amour véritable implique toujours une forme de mort. Aimer vraiment a un prix, parfois très élevé. Par exemple, courir le risque d’être blessé, d’être brisé, de perdre une partie de soi-même.
Donner sa vie dans les petites choses n’a pas besoin d’être toujours dramatique ou extraordinaire. Il peut s’agir de l’effort silencieux d’une mère qui, bien qu’épuisée, se lève tôt pour préparer le petit-déjeuner de sa famille avec une véritable affection. Il peut également s’agir d’un bon élève qui, malgré sa propre fatigue et ses multiples occupations, accepte de passer plusieurs heures à écouter et à aider un camarade qui se trouve dans une situation difficile avec une matière.
L’amour au quotidien peut signifier laisser de côté les silences nés de la mauvaise humeur, de la colère ou de ces petites doses d’autocompassion dont nous semblons tant profiter. Cela peut exiger une certaine honnêteté sincère, écouter avec compassion, s’abstenir de porter des jugements durs ou pardonner les paroles blessantes des autres.
Ce sont ces gestes quotidiens de dévouement, d’engagement et d’amour désintéressé qui, bien que petits en apparence, ont un grand impact sur la vie des autres. Nous ne pouvons pas prétendre changer la société avec eux, ni obtenir une transformation automatique de la personne que nous aidons, mais ils laissent une marque claire de la présence divine dans une âme limitée et petite comme la nôtre.
Jésus utilise une image aussi simple que profonde pour nous enseigner la nécessité de mourir, ce qui n’est ni une possibilité ni un objectif à moyen ou long terme : Si le grain de blé ne tombe pas en terre et ne meurt, il reste infécond ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit (Jn 12, 24). Lorsque Jésus parle de la mort, il ne fait pas simplement référence à la fin de nos jours sur cette terre, mais à un chemin ou, mieux, à une façon de marcher en laissant notre vie comme celui qui sème une autre vie.
Ce qui est certain, c’est que nous devons faire attention à bien comprendre le mot redoutable « mort ». Cette graine semble être sans vie lorsque nous l’enterrons dans la terre. Mais après un certain temps, une pousse verte apparaît, annonçant la vie là où auparavant il semblait n’y avoir que la mort. Saint Paul avait cette impression lorsqu’il affirmait : Ce n’est plus moi qui vis, mais c’est le Christ qui vit en moi(Gal 2, 20). Il s’agit d’une mort continue, constante et féconde. Cette mort par le Christ ne doit pas nécessairement être quelque chose de spectaculaire, de dramatique et de très douloureux.
Il est vrai qu’une partie de nous, intime, profonde, meurt, mais en même temps, sans attendre, jaillit la certitude de donner la vie, indépendamment du fait d’être accueilli ou non, même si cet engagement n’est pas gratifié de reconnaissance ou est même rejeté et méprisé. Le cas du Christ lui-même en est le parfait exemple.
Un autre cas sublime est celui de la pauvre veuve qui a donné une aumône de deux petites pièces (Mc 12, 41-44), tout ce qu’elle avait. Le plus beau de ce geste n’est pas l’usage qui serait fait de cette somme infime, qui a peut-être été utilisée de manière abusive ou frauduleuse, mais le fait que le Christ ait trouvé le moyen de faire en sorte que ce geste ait un impact sur les personnes présentes et sur tous ceux qui lisent l’Évangile à travers les siècles.
Le Christ a donné sa vie de plusieurs manières, et pas seulement sur la croix.
Dès l’instant où il a assumé la nature humaine, le Christ s’est déjà livré : Il s’est dépouillé de lui-même, prenant la forme d’un serviteur, comme nous le rappelle la deuxième lecture. Lors de l’institution de l’Eucharistie pendant le dernier repas, le Christ a offert son corps et son sang avant la Passion : Ceci est mon corps, qui sera livré pour vous (Lc 22, 19). Le moment culminant de son sacrifice fut sur le Calvaire, lorsqu’il mourut pour la rédemption de l’humanité. Dans Jean 19:30, ses derniers mots furent : « Tout est accompli », indiquant qu’il avait donné sa vie entièrement.
N’oublions pas la façon de mourir qui signifie perdre la renommée, ce qui est souvent une caractéristique de la vie des vrais prophètes et des fondateurs. Et c’est une autre forme de douleur et d’humiliation, vraiment profonde et douloureuse.
Aujourd’hui déjà, l’Évangile annonce que ce que dit Isaïe (53, 12) s’accomplira en lui : Il a été compté parmi les malfaiteurs.
Ceux qui passaient l’insultaient… Ceux qui avaient été crucifiés avec lui l’insultaient aussi (Mc 15, 27 et 32).
Fiodor Dostoïevski (1821-1881) a eu une vision profonde de la Passion du Christ, influencée par sa réflexion sur la souffrance humaine. Dans son célèbre roman Les frères Karamazov, le moine Zosime et le frère cadet, le novice Aliocha Karamazov, ont une conversation profonde sur le sacrifice de Jésus, centrée non pas tant sur des termes théologiques froids, mais sur une expérience vécue, proche et compatissante de l’amour divin. Au contraire, Ivan Karamazov, le frère aîné, tente en vain d’expliquer un acte de cruauté épouvantable :
Un seigneur féodal livre le fils d’une femme qui a refusé d’accepter ses désirs aux chiens enragés. Cette horreur est pour Ivan une blessure qui ne peut pas cicatriser, une douleur immense qui ne peut pas être rachetée, dans laquelle Dieu n’est ni trouvé ni ne peut être trouvé. Même si les bourreaux vont en enfer, même si la mère finit par embrasser le bourreau, même si Dieu peut pardonner au criminel… la raison d’Ivan (et celle de toute personne) ne peut assimiler ces malheurs, qui surviennent par des accidents naturels ou par la cruauté humaine.
Nous voyons comment Aliosha embrasse le mystère, Ivan le combat. Le grand Dostoïevski voyait certainement la Passion du Christ comme le centre du mystère chrétien : la souffrance extrême qui conduit à la rédemption et à l’amour absolu. Le moine Zosime enseigne au jeune Aliosha que le Christ n’est pas venu pour s’imposer, mais pour porter la douleur du monde ; il a pris sur lui la souffrance humaine pour nous racheter. Il lui fait comprendre que le Christ ne souffre pas pour les hommes de loin, mais avec eux, au milieu de leur douleur. Son sacrifice n’est pas une rétribution légale, mais un acte de compassion infinie.
Outre son exemple et notre rédemption sur la Croix, le Christ est venu, non pas pour expliquer et raisonner la douleur, mais pour nous montrer comment nous devons agir face à cette réalité blessante. C’est pourquoi il a traversé toutes sortes de souffrances, y compris l’impuissance de ne pas réussir notre conversion. Nous partageons également cette douleur lorsque nous nous sentons incapables de soulager toutes les souffrances que nous voyons autour de nous.
Ce que fait le Christ, c’est pleurer avec ceux qui pleurent, comme il l’a fait avec Marie, la sœur de Lazare, en imaginant la destruction future de Jérusalem (Lc 19, 41-44), ou à Gethsémani, à cause de la douleur de nos péchés. Ce pleur de Jésus signifiait toujours la même chose : qu’il ne laisserait pas seul celui qui souffre, comme il l’a assuré au malfaiteur qui lui a demandé de ne pas l’oublier. Lorsque nos larmes se rejoignent, nous sommes encore plus sûrs que ce que dit le Psaume se réalise : Tu comptes toutes mes angoisses et tu as recueilli toutes mes larmes dans ton pot ; tu as enregistré chacune d’elles dans ton livre (Psaume 56:8). Dieu le Père sait que nous avons pleuré avec lui pour notre prochain.
Un dernier exemple de l’amour qui exige de donner sa vie.
Vous souvenez-vous du merveilleux conte d’Oscar Wilde intitulé Le Prince heureux ?
C’est l’histoire d’une belle statue dorée du Prince, qui se dresse sur la place d’une ville. La statue est ornée d’or fin, d’yeux de saphir et d’un rubis sur le pommeau de son épée. Depuis son piédestal, le Prince peut voir toute la misère et la souffrance du peuple, ce qu’il ne connaissait pas lorsqu’il vivait dans son palais et était heureux.
Une hirondelle qui avait retardé sa migration se pose sur la statue et, voyant que le prince pleure à cause de l’injustice dont il est témoin, décide de l’aider. Le prince demande à l’hirondelle de lui arracher petit à petit ses bijoux et ses feuilles d’or pour les donner aux pauvres et aux nécessiteux.
Malgré le froid, l’hirondelle reste avec le prince et accomplit chaque mission. Ainsi, la statue perd toute sa splendeur extérieure. Finalement, l’hirondelle meurt de froid et le cœur de plomb du prince se brise. Les autorités, voyant que la statue n’est plus belle, la font fondre, mais le cœur ne fond pas. Ils le jettent avec le corps de l’hirondelle. Cependant, Dieu apprécie leur sacrifice et les emmène au Paradis comme les deux choses les plus précieuses de la ville.
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Dans les Cœurs Sacrés de Jésus, de Marie et de Joseph,
Luis CASASUS
Président